Cette discussion est très intéressante, et si nous défendons avec fougue et passion nos points de vue, tout le monde sera d'accord je pense pour ne pas y voir d'aggressivité à l'encontre des personnes.
Nous sommes d'accord pour condamner une approche utilitariste des mathématiques. C'est hélas une tendance qui se répand, surtout parmi nos gouvernants, qui ont la vue courte et ne misent que sur la technologie et l'innovation au détriment de la recherche fondamentale. Faire des mathématiques en voulant à tout prix vouloir les appliquer immédiatement, c'est stupide.
Ce n'était pas le sens de mon message. La question est : pour un mathématicien, dans quelle direction chercher ? Quels sont les problèmes intéressants à creuser ? S'agit-il d'aller au hasard dans n'importe quelle direction ? Si l'on fait cela, on risque de s'embarquer dans des voies stériles, de bâtir un formalisme fort complexe pour développer une mathématique très pauvre en résultats : beaucoup de définitions pour très peu de théorèmes !
On présente dans l'enseignement, depuis la fameuse époque dite des "maths modernes", les structures algébriques d'un point de vue abstrait : groupes, anneaux, corps, modules, espaces vectoriels, etc. Avec un peu de chance on a droit à des exemples issus des mathématiques de tous les jours, ce qui permet d'y voir plus clair. Bien sûr, dégager ces concepts de structures est très profond, cela permet d'avoir des théorèmes généraux.
Mais lorsque j'étais élève, je me demandais : pourquoi étudie-t-on ces structures et pas d'autres ? Pourquoi la première loi d'un anneau est-elle toujours commutative ? Que se passe-t-il si l'on retire cet axiome ? Ou pourquoi n'étudie-t-on pas des structures ayant trois lois internes et deux lois externes, vérifiant des axiomes exotiques ?
Réponse : parce qu'elles ne mènent, selon les connaissances actuelles, à rien d'intéressant. On n'a pas d'exemple de telles structures en action. Elles semblent trop compliquées pour en tirer le moindre théorème un tantinet puissant sans faire des efforts démesurés.
Alors, les mathématiciens ne cheminent pas au hasard. Ils fouillent là où ils ont l'intuition qu'il y a de la matière à creuser, et sont en cela très sensibles à leur environnement culturel. La source principale de leur travail, ce sont les questions que se pose l'ensemble de la communauté mathématique ; les nouveaux concepts seront développés pour bien poser ces problèmes et les résoudre. Parmi ces questions, certaines sont même externes aux mathématiques : puisque , ce qui est incompréhensible, le monde est compréhensible, c'est-à-dire que la physique utilise beaucoup de mathématiques, nos amis les physiciens nous posent une foule de questions intéressantes. Sans Dirac et sa "fonction" absurde, vérifiant
, Laurent Schwartz n'aurait pas inventé les distributions. Mais ces dernières sont un outil fondamental de l'analyse fonctionnelle contemporaine, elles ne servent pas qu'aux physiciens !
Il est vrai qu'on peut passer à côté de l'intérêt de certaines parties des mathématiques. L'arithmétique, par exemple, a fait un retour en force avec le développement de l'informatique (bon, la théorie des nombres n'avait pas cessé de passionner les gens non plus hein).
Il est aussi vrai qu'un réflexe du mathématicien, lorsqu'il a un résultat fort à sa disposition, est de se demander dans quelle mesure il peut le généraliser... pour pouvoir l'appliquer ailleurs ! Quand on réalise que la formule du binôme n'est pas vraie que pour les nombres complexes, mais pour n'importe quels éléments d'un anneau qui commutent, on peut l'appliquer dans des tas de situations variées. Mais généraliser pour généraliser, dans des directions stériles qui ne donneront aucun théorème, ça n'intéresse pas grand monde.
Même si l'on fait, selon le mot de Jacobi (repris par Dieudonné), des mathématiques pour "l'honneur de l'esprit humain" et non pour assurer la sécurité de vos transactions sur internet ou tout autre application utilitaire, l'"esprit humain", justement, est exigeant quant aux sujets sur lesquels il se donne la peine de se fatiguer. :lol5:
Ajout : En passant, tu as été amené à étudier le concept de sous-anneau engendré car tu y as été confronté dans un problème ! Comme quoi nos points de vue ne sont peut-être pas si opposés (et il est exagéré de dire qu'on n'a jamais à étudier un sous-anneau c'est vrai, c'est une structure plus utile que le magma non associatif :lol2:).