beagle a écrit:ce n'est pas faux non plus, et on a vu les dégats de la méthode globale,
J'ai connu ça comme élève dans les années 80 à un niveau probablement bien plus élevé.
Dès l'école maternelle, préparation purement globale : on avait une sorte de jeu de l'oie, avec des mots dans les cases, si on pouvait lire le mot on rejouait une ou deux fois, sinon on devait revenir à la case départ (si ma mémoire est bonne). On ne nous disait absolument rien sur la façon dont on aurait pu connaître/reconnaître ces mots. Moi ce jeu ne m'intéressait pas du tout puisque je savais que je ne gagnerai (seul intérêt d'un jeu à 5 ans) jamais : j'avais repéré la position des mots que je connaissais, identifié l'enchainement qu'il fallait tirer au dé, et constaté la probabilité strictement égale à zéro de tirer cette série avec un dé, puisque certains de ces éléments étaient supérieurs à 6. Et quand bien même, je me doutais aussi que même ce détail réglé, obtenir une série de chiffres précise au dé devait relever d'une probabilité extrêmement faible. De l'ordre de 1 sur 6 puissance n... Nan je rigole, mais tout le reste est vrai. Je devais être déjà un peu matheux quand même...
Mais le meilleur est à venir. Réunion de rentrée au CP, parents dans leurs petits souliers... La consigne fut claire : surtout ne faites rien à la maison, pas de lecture, ça pourrait "perturber la méthode". Ma mère n'ayant encore jamais eu d'autres enfants fit totalement confiance à la maîtresse. Elle a la classe des CP depuis plus de 20 ans, elle doit forcément savoir ce qu'elle fait. La méthode on s'en doute, du global pur et dur, et à la maison, et bien juste l'apprentissage global des mots de l'école à apprendre globalement, puisqu'il ne fallait pas perturber la méthode. Il confond "bonne" et "donne", c'est grave docteur ? Mais à part ça, tout se déroulait très bien. Pour moi qui, à 3 ans, pouvait "lire" par coeur un livre entier en tournant chaque page au bon mot, bien que ça tenait plus de l'oreille que du visuel, ce n'est pas la mer à boire que d'apprendre quotidiennement ces quelques "images de mots". Une fois cette première représentation de la lecture par idéogrammes installée dans ma petite tête, arriva brutalement le jour J, fatidique... suspense... celui où l'adulte décide de dire tout le contraire de ce qu'il a toujours dit. Dans la méthode, ce jour était arrivé, planifié à l'avance qu'il était par la méthode elle-même, comme le retour du printemps le 21 mars. Des idéogrammes devaient naître miraculeusement la syllabe, devant les yeux ébahis des enfants qui diraient oui pour faire plaisir à la maîtresse. Sur ce dernier point, c'était mal me connaître. La maîtresse avait écrit les mots "papa" et "bouquet", et avec ça on devait trouver et admettre comment on écrit "paquet". Oui maîtresse, dirent les enfants. Sauf un. Parce qu'on avait tellement mis dans ma tête la logique idéographique (et là on va voir à quel point le mot dans son sens oriental est juste), qu'une telle association d'écriture n'était possible à mes yeux que si une association sémantique correspondait (ceux qui savent écrire le chinois comprendront tout de suite). Donc j'ai pas dit "oui" pour faire plaisir à la maîtresse, j'ai négocié : c'est impossible, sauf dans le cas où papa offrirait un bouquet à maman en le mettant le bouquet dans un paquet cadeau. A 20 ans tu lui conseillerais de prendre des cours de romantisme, mais à 6 ans, même si ça semble original, pourquoi pas. Cadeau + bouquet de fleurs, c'est mettre les petits plats dans les grands, en quelques sorte. Et la maîtresse d'insister jusqu'au bout : PAAAAAAquet - bouQUEEEEEEEEEEEET bon sang c'est évident. Mais qu'est-ce qui lui prend ? Moi aussi je peux dire PAAAAAAAAAAAquet et bouQUEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEET. Et alors ? Ca n'explique en rien son machin, sans rapport avec le fonctionnement des images qu'on utilise pour écrire. Donc à la questionnette "vous avez compriiiiiis ?", le "non" est resté "non" jusqu'à la fin du jour... de classe. Donc arrive 16h30, et la maîtresse sort de l'école dans un état manifeste de panique avancée. Encore une fois, tout ceci n'est que le strict et fidèle exposé des faits. Elle apostrophe ma mère à qui l'état de panique n'échappe pas : écoutez, madame, je ne sais pas si Olivier saura lire à la fin de l'année (commencée depuis pas si longtemps, c'était avant les 1ère ou 2ème vacances). Pourquoi demande ma mère étonnée. La maîtresse lui raconte toute la scène en insistant sur le fait qu'elle n'y comprend rien ! Et ma mère de répondre évidemment : ben moi je comprends, c'est même pas étonnant du tout, au fond. Mais que faire alors pendant les prochaines vacances ? Et là la réponse de la maîtresse à de quoi surprendre : faites lui faire des dictées de syllabes ! Je ne sais pas si une consigne de discrétion vis-à-vis des autres parents y a été ajoutée, mais ça n'est pas impossible. Et donc me voilà reparti à la maison avec un enseignement clandestin mais pas tant que ça, relevant cette fois de l'extrême inverse, et qui m'a laissé aussi perplexe que le premier, puisque tout aussi vide de sens. Mais la contradiction totale entre les deux m'a permis de comprendre la seule chose qui m'a sans doute permis d'apprendre à lire : démerde toi pour comprendre, faut pas compter sur les adultes pour dire quelque chose de sensé. Heureusement que j'avais des capacités pour pouvoir recoller les morceaux, ce que j'ai fini par faire, jusqu'à finir dans les premiers de la classe en CE1. Année redoutable que le CE1, dans laquelle un niveau de lecture très élevé est exigé. Il faut savoir lire en faisant deux autres choses en même temps : la première est de lire à voix haute en même temps (rien à voir mais classique), la deuxième est de regarder ailleurs que le texte qu'on lit en même temps : le post-it et le stylo de la maîtresse, pour savoir si l'hésitation articulatoire sera comptée pour abaisser la note de lecture. Et là aussi, lire c'est comprendre : si le stylo bouge mais finalement sans écrire, cela signifie implicitement "j'ai eu chaud, c'était moins une que je perde un point". Cela nécessite des compétences de balayage visuel certaines ! Mais j'ai finalement réussi à faire les trois en même temps. C'est l'occasion de rappeler qu'en pédagogie, faire une connerie n'exclut pas de faire aussi la connerie opposée. Il n'y a même souvent qu'un pas.
Longtemps plus tard, je suis devenu instit, farouche opposant de la méthode globale, ultra-syllabique que je pensais être. Normal avec une telle expérience. Mais j'ai bien vu en ce tout début des années 2000, à ma grande déception, que les manuels étaient encore très globaux. Je ne m'attendais donc pas à rencontrer d'autres partisans de la méthode globale, en dernier dinosaure que je pensais être, et effectivement je n'en ai pas rencontré le moindre. J'étais devenu instit avec mes convictions, pas très avancé dans la pédagogie de lecture car ce n'était pas ce qui m'intéressait particulièrement comme sujet. Mais ça m'allait très bien comme ça.
D'ailleurs, je n'ai pas changé d'avis sur ces points-là, même après m'y être intéressé sur le tard, actualité l'obligeant.
C'est alors qu'est arrivé l'année 2006 de mémoire, et ce déchainement médiatique de fous furieux étalant leur haine de la pédagogie, qui n'a d'ailleurs jamais tellement quitté nos petits écrans depuis. Cette fois des partisans de la méthode syllabique, j'en ai vu, mais leur discours anti-pédagogique était juste hallucinant. Ils ne prêchaient pas contre l'occultisme que j'avais subi comme élève, mais pour leur occultisme à eux. Les mêmes croyances, pour faire autrement en pensant pareil, ce qui en pédagogie conduit au même résultat.
C'est après cela que j'ai compris que le problème de toute méthode relève du mot "méthode" et pas de l'adjectif qu'on met derrière. Il ne reste que deux concepts en pédagogie quand on arrive au bout de toute réflexion : le vrai et le faux. Les méthodistes vous diront toujours qu'ils ont raison, parce que le faux qu'enseignent d'autres méthodistes serait plus dangereux que le faux qu'ils enseignent eux, ce qui est parfois le cas quand les seconds existent pour de vrai. Mais il ne reste que deux choses : le vrai et le faux. Il n'y a ni bon faux, ni bon occultisme, qui ne valent que pour ce qu'ils sont, pas relativement au fait que pire a ou aurait existé.
et c'était drole, ou triste?, elle lisait en racontant l'histoire lue à l'école, avec des mots en moins ou en plus, bref elle avait appris par coeur l'histoire à l'école, m'enfin...
C'est malheureusement classique d'un enseignement, pas nécessairement global d'ailleurs, où il n'y a ni précision ni explicitation des contenus d'une part et de ce qui est attendu des uns et des autres d'autre part.
Confusion sur les contenus entre lecture et lecture à voix haute, d'une part. On ne peut lire que ce qu'on ne connaît pas. Si on a déjà lu et compris, on ne peut plus le lire à la maison ; éventuellement on peut en faire une lecture à voix haute, ce qui est tout autre chose. Et difficile de mettre ça sur la compte de la méthode globale, tant la confusion entre lecture et lecture à voix haute fait partie de l'ADN des pratiques syllabiques. Elle est d'ailleurs centrale dans les difficultés qu'on observe chez les élèves d'aujourd'hui, alors que les pratiques d'enseignement sont plus syllabiques qu'il y a quelques années.
Pas de définition précise de ce qui est attendu d'autre part. Est-ce lire ? Peut-être mais c'est impossible. Est-ce lire à voix haute ? Dans ce cas c'est bien que l'enfant connaisse déjà le texte, il est un lecteur bien trop débutant pour faire plusieurs choses différentes en même temps. Mais nulle part il n'est dit non plus qu'on attend une lecture à voix haute, pas plus qu'on a expliqué aux parents ce que c'était. Peut-être est-ce simplement du rien du tout, rien qui n'ait à voir avec la lecture du moins, juste un prétexte donné aux parents de montrer à l'enfant que ce qu'il fait est important pour eux. Quand on connaît bien l'école on devine que c'est juste ça. Mais ça n'a pas été expliqué aux parents non plus, pour qui ça n'est naturellement pas si évident.