Comme d'hab j'ai l'impression qu'on est d'accord sur le fond mais pas sur la formulation... Je vais rester sur l'exemple du choc pour commencer.
Black Jack a écrit:"Énormément de modèles de choc mécanique font apparaître des forces infinies sur des durées nulle"
Et alors? Cela signifie simplement que le calcul de la force n'est pas correct à "l'instant du choc", on ne peut pas utiliser le modèle et en déduire que les forces de contact sont infinies.
On est d'accord que dans le cas du choc il est possible de faire une expérience où on est capable de mesurer les forces de contact, et le résultat sera fini. On est aussi capable de mesurer la durée d'action des forces de contact, qui sera finie également (= non nulle). Là-dessus aucun souci.
Maintenant si on retourne du côté des modèles. Pour notre discussion y en a deux qui sont intéressants :
- Un qui modélise le choc comme une interaction de durée nulle à l'instant
durant laquelle s'exerce une force infinie (mais de percussion finie), ce qui peut se mettre en équation par
.
- Un qui modélise le choc comme une interaction de durée finie
durant laquelle s'exerce une force finie, qui dans les équations sera une fonction à support dans, disons,
.
On est d'accord que le deuxième modèle est strictement plus puissant (= son domaine de validité est plus étendu) que le premier. Là où on n'a pas l'air d'être d'accord c'est sur les détails du pourquoi. Tu dis que le problème du premier modèle est à t = 0, là où la force est infinie, en utilisant comme argument qu'on ne pourra jamais mesurer une force infinie, et que de fait on peut mesurer des forces de contact, et elles seront toujours finies.
Ce sur quoi j'insiste c'est que
l'assertion "la force est inifinie en t = 0" n'est pas expérimentalement testable. Autrement dit, il est faux de dire que ce modèle prédit qu'on puisse mesurer expérimentalement une force infinie, pour la simple et bonne raison qu'on ne pourra jamais faire une mesure "à t = 0". En revanche, une prédiction expérimentalement testable de ce modèle, c'est par exemple "la force est nulle entre
et
". Et en effet, l'expérience contredira cette prédiction. Autrement dit le problème du premier modèle c'est pas qu'il crache un infini à t = 0, c'est qu'il crache quelque chose en contradiction avec l'expérience pour
.
C'est peut-être encore plus parlant si on considère une force du type
comme dans l'énoncé de départ. Dans ce modèle, la force est infinie à t = 0. Tu dis que c'est absurde parce que les forces infinies ça n'existe pas (= pas mesurable lors d'une expérience), mais qu'on peut lever cette absurdité en considérant uniquement la limite - autrement dit tu t'interdis de parler de la force à t = 0, tu te permets uniquement de parler de la force pour t > 0 aussi petit que tu veux. En suivant cet argument, un modèle qui dit
et
serait meilleur, puisqu'il n'implique que des forces finies et conserve le comportement limite en 0 comme tu le souhaites. Sauf que
ces deux modèles sont strictement équivalents d'un point de vue expérimental. Ils font exactement les mêmes prédictions expérimentalement testables. Encore une fois, s'il y a un problème, il ne se trouve pas à t = 0 mais au voisinage de t = 0. Par exemple, "la force exercée entre t1 et t2 est toujours supérieure à
" est une prédiction expérimentalement testable commune aux deux modèles, et qui risque fort de ne pas être valide pour tous t1, t2.
Quand deux modèles diffèrent d'un point de vue mathématique mais ont exactement les mêmes conséquences expérimentales, le choix de l'un ou l'autre n'est pas une question de physique, mais de philosophie. Tu préfères la version du modèle sans infini ? Fais-toi plaisir ! Mais ne crois pas que tu as un meilleur modèle (plus valide, moins absurde, etc) en faisant ce choix. La qualité physique d'un modèle se juge uniquement à ses prédictions expérimentalement testables.
Et pour revenir sur "l'infini n'est pas un nombre" et "en remplaçant
par la limite correspondante on remplace l'infini par 'très très grand'" : l'interprétation physique d'un infini mathématique est TOUJOURS "très très grand", que ce soit en parlant de limite ou en traitant l'infini comme un nombre un peu particulier (ce qu'on fait en écrivant des choses du type
, qui sont tout à fait autorisées, y compris mathématiquement pourvu que tout soit bien défini).
Bref, j'ai bien conscience de chipoter, mais y a quand même un vrai souci de fond. J'ai de plus en plus d'étudiants qui font la confusion entre modèle mathématique, prédiction physique et validité expérimentale, au point de faire de vraies erreurs de modélisation ou de refuser d'utiliser un modèle valide, because reasons. Genre j'en ai qui vont refuser bec et ongles d'appliquer mon premier modèle de choc aux temps longs. Je me doute bien que toi tu ne fais pas ce genre d'erreurs, mais je pense que les affirmations non nuancées du type "l'infini n'est pas physique", qu'on retrouve parfois dans l'enseignement, sont contre-productives et nuisent à la compréhension. Alors qu'il suffirait de dire "méfiez-vous de l'infini" ou "ne faites pas comme si l'infini était simple et intuitif" ou encore mieux "apprenez à comprendre l'infini" (genre ce que Ben314 martèle, à raison, dans d'autres topics du forum).