En réfléchissant à mettre en ordre mes idées, je me suis aperçu que je vais critiquer certaines habitudes des maths. Je vais donc faire le donneur de leçon, mais c'est parce que je ne vois pas comment faire autrement. Donc je vais introduire plusieurs choses avant de rentrer dans le vif du sujet.
a) Vocabulaire
Tout d'abord, j'invente deux mots : ensembliser, absurdiser.
- Ensembliser : utiliser inutilement le langage des ensembles et ainsi noyer le poisson.
Exemple : « Soit ABC un triangle isocèle en A. Soit I le milieu de [BC]. Alors
Le problème dont je parle est un problème de géométrie, pas de théorie des ensembles, il est donc stupide de présenter les choses ainsi. Parfois c'est utile, par exemple pour dire qu'un point appartient à un cercle, parce qu'un cercle est un ensemble particulier avec certaines propriétés, mais dans cet exemple ça ne fera qu'embrouiller le lecteur.
Je soupçonne que beaucoup de maths ensemblisent à tort et remplacent l'expression d'une propriété par l'appartenance à un ensemble. C'est pareil ? Pas pour ma compréhension. Par exemple lorsqu'on dit que
- Absurdiser : mettre en place une démonstration par l'absurde qui n'est pas nécessaire et noie le poisson.
Exemple : « Montrons par l'absurde que x²+1 est positif ou nul. Pour cela, on suppose qu'au contraire x²+1 est strictement négatif. Donc x² est inférieur à -1. Or tout carré est positif, donc c'est absurde. Par conséquent x²+1 est positif ou nul. »
On devrait dire : « Montrons que x²+1 est positif. Tout carré est positif, de plus 1 est positif, donc la somme x²+1 est positive. »
Qu'est-ce que ça change ? Pour moi ça change : la première version m'embrouille.
Je souçonne que pas mal de maths absurdisent, et j'estime que l'on ne devrait employer la démonstration par l'absurde que si vraiment nécessaire. Et je ne suis pas le seul. Dans le livre "L'univers des mathématiques", Ph. Davis et R. Hersh présentent deux démonstrations de l'irrationnalité de
La première est la démonstration classique, par l'absurde : on suppose que
La seconde part aussi de p²=2q² et prouve rapidement l'impossibilité de cette égalité : les facteurs premiers de p² vont par paire, ceux de q² aussi, or le facteur 2 n'a pas de 2 associé, donc p² ne peut pas être égal à 2q². Nul besoin de raisonner par l'absurde (mais on peut facilement absurdiser).
Les auteurs estiment que 9 mathématiciens sur 10 préféreront la 2ème démonstration. Voici ce qu'ils disent : « La démonstration II semble révéler le coeur du sujet, tandis que la démonstration I le cache, partant d'une hypothèse fausse et aboutissant à une contradiction. La démonstration I semble un argument de prestidigitateur, la démonstration II expose la "véritable" raison. » Bien dit !
Pourquoi je parle de ça ? Vous allez voir...
Ah, et j'ajoute un troisième mot de vocabulaire : ENSemble. J'appelle ensemble la même chose que dans les bouquins de maths. Mais je suis conscient qu'un ensemble n'est pas une simple collection d'objets, comme on le présente parfois naïvement. Un ensemble est définie de façon précise, et cette définition est ainsi faite qu'on considère notamment des ensembles dits infinis (mais...). Ce que j'appelle ENSemble, c'est une collection d'objets en nombre fini. C'est la signification du langage de tous les jours, je crois. Si j'avais tous les pouvoirs, j'imposerai le mot « ensemble » à ce concept, et je nommerai autrement les ensembles dits infinis (« ensembles potentiels » ?).
Ouvrir le capot
Je crois qu'un tort possible (que j'ai eu et ai encore sûrement) est de rester au niveau plus élevé et d'oublier ce qui se passe dans le moteur. L'exemple typique, c'est la limite d'une suite. Que signifie qu'une suite tend vers l'infini ? Que la suite atteint l'infini ? Bien sûr que non. Ça signifie que quelle que soit une valeur fixée à l'avance, aussi grande soit-elle, la suite finira par dépasser définitivement cette valeur. Que signifie qu'une suite tend vers 0 ? Ça signifie que quelle que soit la précision que je souhaite atteindre, je finirai par l'atteindre définitivement à partir d'un certain rang. Nulle part n'apparaissent des infinis. Dans le premier cas on parle juste d'une suite qui finit par être aussi grande qu'on veut ; dans le second cas on parle juste d'une suite qui finit par s'approcher autant qu'on veut d'une valeur finie.
Or quand on écrit
Ce que j'appelle ouvrir le capot, c'est ça : se rappeler que lorsqu'on parle de la somme d'une série, en fait on parle de la limite d'une suite de nombres qui, à partir d'un certain rang (fini), atteignent une certaine précision (ou pas). Parler de somme (de la série) ajoute une couche sur le moteur qu'on finit par ne plus voir.
Le juge de paix
Dans ce qui suit, je vais parfois opposer deux façons de voir les choses : la façon "infinitiste" (celle qui - mais ce n'est qu'une apparence - fait croire qu'il y a un infini), et la bonne façon (bonne selon moi, mais je me fais confiance). Quel est le bon point de vue ? La réponse n'est pas une question de goût ou de psychologie ou de pile ou face. La réponse est écrite dans les démonstrations. Il va falloir ouvrir le capot. Pour moi, le juge de paix n'est pas l'argument d'autorité (pouah !) mais ce qui se passe réellement, ce qui est parfois caché par les notations mais se découvre en faisant parler le moteur des démonstrations.
Voici un exemple.
Qu'est-ce qu'un ensemble infini ? On voit souvent cette définition : c'est un ensemble qui peut être mis en bijection avec toute partie stricte de lui même.
Or cette définition, c'est de la frime ! C'est de l'ensemblisation. En fait, comme souvent, il existe plusieurs définitions équivalentes. Voici une autre définition : un ensemble est infini lorsqu'étant donné un ENSemble quelconque de ses éléments, il existe toujours un élément qui n'est pas dans cet ENSemble. C'est la définition que j'adopterai par la suite. Et je l'adopterai à cause du juge de paix : les démonstrations.
- Comment démontre-t-on qu'il existe une infinité de nombres premiers ? On en choisit n :
- Comment démontre-t-on qu'il existe une infinité de rationnels entre deux réels quelconques ? Dans un premier temps on en construit un, et dans un deuxième temps on part d'un ENSemble de rationnels situés entre les deux réels et, en utilisant la première construction, on montre qu'on peut en construire un nouveau. Là encore c'est la deuxième définition qui a servi.
- Comment démontre-t-on qu'il existe une infinité d'entiers ? Je me souviens d'un TD de première année où le prof nous avait montré la construction des entiers naturels. On utilisait un truc qui s'appelait "successeur" : on construisait n entiers, et le "successeur" en fabriquait un encore plus grand. Et comme on pouvait toujours en ajouter un qui n'est pas dans l'ENSemble des entiers qu'on avait construit, ça prouvait que N était infini. Toujours la deuxième définition.
C'est donc toujours ainsi que je procèderai : pour connaître le bon point de vue, je soulèverai le capot.
Ainsi, quand on parle d'un ensemble infini, il ne faut jamais oublier qu'il s'agit en fait d'un ensemble qui a la propriété que, quelle que soit l'ENSemble considéré (de taille finie), je peux toujours trouver un autre élément. Il n'y a pas d'infini, sinon au sens d'un potentiel. Le mot « infini » est juste un adjectif qui permet de dire d'une façon concise la propriété ci-dessus.
(la dernière partie ci-dessous...)
