L'infini [erratum : l'infini effectif] n'existe pas (réflexi

Discussion générale entre passionnés et amateurs de mathématiques sur des sujets mathématiques variés
Robic
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par Robic » 17 Mar 2015, 15:18

1) Introduction

En réfléchissant à mettre en ordre mes idées, je me suis aperçu que je vais critiquer certaines habitudes des maths. Je vais donc faire le donneur de leçon, mais c'est parce que je ne vois pas comment faire autrement. Donc je vais introduire plusieurs choses avant de rentrer dans le vif du sujet.

a) Vocabulaire

Tout d'abord, j'invente deux mots : ensembliser, absurdiser.

- Ensembliser : utiliser inutilement le langage des ensembles et ainsi noyer le poisson.

Exemple : « Soit ABC un triangle isocèle en A. Soit I le milieu de [BC]. Alors » (où Perp(d) désigne l'ensemble des droites perpendiculaires à d).

Le problème dont je parle est un problème de géométrie, pas de théorie des ensembles, il est donc stupide de présenter les choses ainsi. Parfois c'est utile, par exemple pour dire qu'un point appartient à un cercle, parce qu'un cercle est un ensemble particulier avec certaines propriétés, mais dans cet exemple ça ne fera qu'embrouiller le lecteur.

Je soupçonne que beaucoup de maths ensemblisent à tort et remplacent l'expression d'une propriété par l'appartenance à un ensemble. C'est pareil ? Pas pour ma compréhension. Par exemple lorsqu'on dit que , pour moi ça ne signifie pas que f fait partie d'une collection d'objet (un ensemble), mais que f jouit d'une propriété : elle est continue et deux fois continûment dérivable sur I. Présenter ce truc comme l'appartenance à un ensemble m'embrouille.

- Absurdiser : mettre en place une démonstration par l'absurde qui n'est pas nécessaire et noie le poisson.

Exemple : « Montrons par l'absurde que x²+1 est positif ou nul. Pour cela, on suppose qu'au contraire x²+1 est strictement négatif. Donc x² est inférieur à -1. Or tout carré est positif, donc c'est absurde. Par conséquent x²+1 est positif ou nul. »

On devrait dire : « Montrons que x²+1 est positif. Tout carré est positif, de plus 1 est positif, donc la somme x²+1 est positive. »

Qu'est-ce que ça change ? Pour moi ça change : la première version m'embrouille.

Je souçonne que pas mal de maths absurdisent, et j'estime que l'on ne devrait employer la démonstration par l'absurde que si vraiment nécessaire. Et je ne suis pas le seul. Dans le livre "L'univers des mathématiques", Ph. Davis et R. Hersh présentent deux démonstrations de l'irrationnalité de .

La première est la démonstration classique, par l'absurde : on suppose que d'où p²=2q², puis par une série de divisions successives ennuyeuses, on tombe sur une contradiction.

La seconde part aussi de p²=2q² et prouve rapidement l'impossibilité de cette égalité : les facteurs premiers de p² vont par paire, ceux de q² aussi, or le facteur 2 n'a pas de 2 associé, donc p² ne peut pas être égal à 2q². Nul besoin de raisonner par l'absurde (mais on peut facilement absurdiser).

Les auteurs estiment que 9 mathématiciens sur 10 préféreront la 2ème démonstration. Voici ce qu'ils disent : « La démonstration II semble révéler le coeur du sujet, tandis que la démonstration I le cache, partant d'une hypothèse fausse et aboutissant à une contradiction. La démonstration I semble un argument de prestidigitateur, la démonstration II expose la "véritable" raison. » Bien dit !

Pourquoi je parle de ça ? Vous allez voir...

Ah, et j'ajoute un troisième mot de vocabulaire : ENSemble. J'appelle ensemble la même chose que dans les bouquins de maths. Mais je suis conscient qu'un ensemble n'est pas une simple collection d'objets, comme on le présente parfois naïvement. Un ensemble est définie de façon précise, et cette définition est ainsi faite qu'on considère notamment des ensembles dits infinis (mais...). Ce que j'appelle ENSemble, c'est une collection d'objets en nombre fini. C'est la signification du langage de tous les jours, je crois. Si j'avais tous les pouvoirs, j'imposerai le mot « ensemble » à ce concept, et je nommerai autrement les ensembles dits infinis (« ensembles potentiels » ?).

Ouvrir le capot

Je crois qu'un tort possible (que j'ai eu et ai encore sûrement) est de rester au niveau plus élevé et d'oublier ce qui se passe dans le moteur. L'exemple typique, c'est la limite d'une suite. Que signifie qu'une suite tend vers l'infini ? Que la suite atteint l'infini ? Bien sûr que non. Ça signifie que quelle que soit une valeur fixée à l'avance, aussi grande soit-elle, la suite finira par dépasser définitivement cette valeur. Que signifie qu'une suite tend vers 0 ? Ça signifie que quelle que soit la précision que je souhaite atteindre, je finirai par l'atteindre définitivement à partir d'un certain rang. Nulle part n'apparaissent des infinis. Dans le premier cas on parle juste d'une suite qui finit par être aussi grande qu'on veut ; dans le second cas on parle juste d'une suite qui finit par s'approcher autant qu'on veut d'une valeur finie.

Or quand on écrit , on écrit l'égalité non pas d'une somme infinie, mais d'une limite. On dit juste qu'on a défini une suite dont les termes finissent par être aussi proches qu'on veut de 2 à partir d'un certain rang. Il n'y a pas de somme infinie là-dedans. L'infini, le concept de limite, ce ne sont que des abréviations, des façons de parler (pratiques car plus concises).

Ce que j'appelle ouvrir le capot, c'est ça : se rappeler que lorsqu'on parle de la somme d'une série, en fait on parle de la limite d'une suite de nombres qui, à partir d'un certain rang (fini), atteignent une certaine précision (ou pas). Parler de somme (de la série) ajoute une couche sur le moteur qu'on finit par ne plus voir.

Le juge de paix

Dans ce qui suit, je vais parfois opposer deux façons de voir les choses : la façon "infinitiste" (celle qui - mais ce n'est qu'une apparence - fait croire qu'il y a un infini), et la bonne façon (bonne selon moi, mais je me fais confiance). Quel est le bon point de vue ? La réponse n'est pas une question de goût ou de psychologie ou de pile ou face. La réponse est écrite dans les démonstrations. Il va falloir ouvrir le capot. Pour moi, le juge de paix n'est pas l'argument d'autorité (pouah !) mais ce qui se passe réellement, ce qui est parfois caché par les notations mais se découvre en faisant parler le moteur des démonstrations.

Voici un exemple.

Qu'est-ce qu'un ensemble infini ? On voit souvent cette définition : c'est un ensemble qui peut être mis en bijection avec toute partie stricte de lui même.

Or cette définition, c'est de la frime ! C'est de l'ensemblisation. En fait, comme souvent, il existe plusieurs définitions équivalentes. Voici une autre définition : un ensemble est infini lorsqu'étant donné un ENSemble quelconque de ses éléments, il existe toujours un élément qui n'est pas dans cet ENSemble. C'est la définition que j'adopterai par la suite. Et je l'adopterai à cause du juge de paix : les démonstrations.

- Comment démontre-t-on qu'il existe une infinité de nombres premiers ? On en choisit n : ,, etc. jusque et on montre que le nombre entier est soit premier, soit possède un facteur premier qui n'est pas dans la liste. Bref : il existe toujours un nombre premier qui n'est pas dans l'ENSemble de départ. (À noter qu'on trouve souvent une version inutilement absurdisée de cette démonstration.) C'est bien la deuxième définition qui a servi !

- Comment démontre-t-on qu'il existe une infinité de rationnels entre deux réels quelconques ? Dans un premier temps on en construit un, et dans un deuxième temps on part d'un ENSemble de rationnels situés entre les deux réels et, en utilisant la première construction, on montre qu'on peut en construire un nouveau. Là encore c'est la deuxième définition qui a servi.

- Comment démontre-t-on qu'il existe une infinité d'entiers ? Je me souviens d'un TD de première année où le prof nous avait montré la construction des entiers naturels. On utilisait un truc qui s'appelait "successeur" : on construisait n entiers, et le "successeur" en fabriquait un encore plus grand. Et comme on pouvait toujours en ajouter un qui n'est pas dans l'ENSemble des entiers qu'on avait construit, ça prouvait que N était infini. Toujours la deuxième définition.

C'est donc toujours ainsi que je procèderai : pour connaître le bon point de vue, je soulèverai le capot.

Ainsi, quand on parle d'un ensemble infini, il ne faut jamais oublier qu'il s'agit en fait d'un ensemble qui a la propriété que, quelle que soit l'ENSemble considéré (de taille finie), je peux toujours trouver un autre élément. Il n'y a pas d'infini, sinon au sens d'un potentiel. Le mot « infini » est juste un adjectif qui permet de dire d'une façon concise la propriété ci-dessus.

(la dernière partie ci-dessous...)



Robic
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par Robic » 17 Mar 2015, 15:21

2) L'infini des limites, des suites, des séries

Une série n'existe pas en tant que telle, ce qui existe, c'est la suite des sommes partielles ainsi qu'éventuellement leur limite. La somme d'une série convergente existe donc bien, mais ce n'est pas le résultat d'une addition infinie, c'est un nombre duquel on s'approche autant qu'on veut. Il n'y a aucun infini dans cette histoire. L'écriture est une abréviation commode pour dire : les sommes partielles se rapprochent autant qu'on veut de . Ouvrez le capot, vous verrez !

Dans le même ordre d'idée, un nombre irrationnel est la limite d'une série. Par exemple Pi est égal à la somme de la série , ce qui signifie que les sommes partielles 3,141592 - 3,1415926 - 3,14159265 - 3,141592653 - etc. se rapprochent aussi près qu'on veut de ce nombre. Mais il n'y a pas d'infini.

Comment ça ? Et sa suite de décimales, elle n'est pas infinie ?

Attention : la suite de décimales, c'est la suite des décimales des sommes partielles. Et ces sommes partielles sont toutes des nombres décimaux. Il est vrai qu'on dit que Pi admet une infinité de décimales, mais c'est dans le sens ci-dessus : quel que soit le nombre (fini) de décimales que je considère, il y en a toujours au moins une de plus.

Lorsqu'on écrit 3,14159265358979..., les trois petits points indiquent qu'il s'agit d'une série, donc de la limite des sommes partielles, donc d'un nombre que l'on approche avec autant de précision que l'on veut. En somme, les trois petits points cachent un passage à la limite sous leur capot.

Au fait, est-ce que les nombres irrationnels existent ? Oui, en tant que limites. Une limite, ça existe. C'est juste qu'on ne peut pas écrire leurs décimales (seulement celles des sommes partielles).

Et ça me fait penser à Pythagore, indigné en apprenant que la racine de 2 n'existe pas (elle n'est pas rationnelle) alors que la diagonale du carré de côté 1 existe. Son erreur, c'est de confondre la diagonale du carré avec un nombre. Un segment n'est pas un nombre. Qu'un segment puisse se tracer ne nous renseigne pas sur l'existence d'un nombre. D'ailleurs quand on dit que la diagonale du carré de côté 1 cm fait cm, ça dépend des unités. Si on comptait en glous (1 glou = cm) on trouverait que la diagonale fait 1 glou. Donc tout va bien (sauf pour les côtés du carré, mais il suffit de les compter en cm).

3) La droite réelle achevée, une mascarade

Dans certains livres on trouve ce genre de choses : . Cette notation ne sert qu'à abréger certains énoncés. Au lieu de parler de limite en a ou bien en l'infini, on parlera juste de limite en a (ça comprend l'infini). De même ça permet de parler d'intervalle ]a,b[ sans séparer les cas où l'une ou l'autre borne est infinie. Mais il n'y a rien de tel pour embrouiller : l'infini n'est pas un nombre, or on le range avec des nombres ! Ce n'est même pas un objet mathématique puisque c'est juste une abréviation, une façon de parler. C'est comme si j'inventais l'ensemble , réunion des rationnels et de l'abréviation « à partir d'un certain rang ».

C'est vrai que c'est pratique, mais en vaut-ce la peine ? Par exemple la notation laisse croire que c'est la fermeture de R, or R est déjà fermé. Certes, il est fermé dans lui même, alors serait-ce la fermeture de R dans ? Sauf que n'est pas un espace puisque c'est juste une facilité d'écriture. En fin de compte cette notation ne sert pas à grand chose (je ne l'ai jamais vue étant étudiant, à part sporadiquement peut-être - et alors je l'ai oubliée) et fait croire que l'infini est un truc de même nature que les nombres réels, ce qui est absurde).

4) Y a-t-il une infinité d'entiers ?

Il y a une infinité d'entiers seulement dans le sens où quel que soit l'ENSemble d'entiers considéré, on peut toujours en trouver un autre qui n'est pas dedans. Mais on se tromperait si on considérait tous les entiers. Tous les entiers, ce n'est pas possible sinon en tant que potentialité. Quelqu'un peut m'apporter un sac avec plein d'entiers dedans, et je pourrai toujours en rajouter un (ce qu'on abrège en disant que l'ensemble des entiers est infini), mais personne ne pourra m'apporter de sac avec tous les entiers. La notion « tous les entiers » n'existe pas en tant que telle.

Je sais, la théorie des ensembles considère l'ensemble N comme un objet. Mais ça ne me plaît pas et je ne vois pas en quoi c'est utile.

Que signifie ? Encore une fois, ouvrons le capot. Les entiers ont été construits à partir d'axiomes, donc signifie que n jouit des propriétés de la construction des entiers. Croire que ça signifie que n fait partie d'une collection infinie d'objets, c'est une vision superficielle. Le juge de paix, ce sont les démonstrations. Or lorsqu'on démontre des propriétés sur les entiers, on ne se sert pas de la propriété comme quoi ils seraient des éléments d'une collection d'objets, on se sert des propriétés qui découlent de la construction des entiers. Par exemple lorsqu'on fait une récurrence, on utilise soit l'axiome de récurrence s'il fait partie de la construction, soit de l'axiome « toute partie non vide de N admet un plus petit élément » (qui permet de démontrer le principe de récurrence) si on est parti de cet axiome. Le travail sur les entiers utilise les propriétés des entiers. Ceci prouve que signifie que n jouit de certaines propriétés, pas que n sort d'une collection d'objets.

De ce point de vue (qui est le bon, j'ai ouvert le capot pour le vérifier), l'écriture est juste l'abréviation de « n jouit des propriétés suivantes : ... ». Je ne suis pas en train de dire que les entiers ne forment pas un ensemble, mais que ce n'est pas parce qu'on dit que cet ensemble est infini qu'il faut croire, pour autant, qu'on va manipuler une infinité d'objets. Non : lorsqu'on invoque N, ce n'est pas pour exhiber une infinité d'objets, c'est pour exprimer des propriétés.

D'ailleurs on ne devrait utiliser la notation que lorsqu'on a besoin du fait que c'est un ensemble. Lorsqu'on prélève un entier quelconque dans une récurrence, on n'a pas besoin d'utiliser ce fait, on a juste besoin d'utiliser les propriétés de n. Dans ce cas, on devrait dire « soit n un entier naturel » et non « soit n N ». La deuxième forme sert surtout pour abréger, mais elle est trompeuse : elle laisse croire qu'on extrait un objet d'un ensemble infini, alors qu'on prend juste un objet ayant un nombre fini de propriétés. Voilà le danger de l'ensemblisation...

Au passage, je trouve qu'il y a un abus - l'ensemblisation - à toujours remplacer l'énoncé de propriétés par un ensemble. Par exemple « f est une fonction deux fois continûment dérivable » se dit en abrégé « f est de classe ». Par contre écrire « » est trompeur. La première façon exprime des propriétés, et ce sont ces propriétés qui servent par exemple lorsqu'on résout des équations différentielles d'ordre 2 (j'ai ouvert le capot), pas le fait que f serait un élément extrait d'une collection d'objets. Quand on travaille sur les équations différentielles, à quoi bon utiliser le vocabulaire de la théorie des ensembles ? Pour avoir une écriture abrégée ? Oui, mais elle trompe.

5) Et l'infini dénombrable, c'est du pipeau ?

L'infini dénombrable, c'est une façon de parler.

Là encore, il suffit d'ouvrir le capot pour s'en apercevoir. On parle d'infini dénombrable à propos de N, de Z ou de Q. On remarque par exemple qu'il existe une bijection entre N et Q. Ah, pour ça il faut placer tous les entiers dans une liste, non ? Mais non !

Dire que Q est dénombrable signifie que Q peut être mis en bijection avec N, autrement dit ça signifie que pour tout entier n (fini), je peux associer exactement un élément de Q (fini), et que pour tout rationnel q (fini), je peux associer exactement un élément de N (fini). Il n'y a aucun infini dans cette histoire. Certes, le processus ne s'arrête jamais : quels que soient les entiers associés avec les rationnels (ou vice-versa), il y aura toujours un autre entier et un autre rationnel à associer. C'est parce que N et Q sont des ensembles infinis (au sens où je l'ai rappelé plus haut).

Dans tous les cas - limite en l'infini, suite infinie de décimale, infinité des entiers, infinité dénombrable - il s'agit juste d'une façon de parler, d'une abréviation commode.

6) Et les espaces vectoriels de dimension infinie ?

Un espace vectoriel de dimension infinie, ce n'est pas un espace vectoriel avec une base infinie. Voici la définition que j'ai trouvée en allant sur le premier site fournit par une recherche Google : « Soit E un espace vectoriel. Par définition on dit que E est de dimension infinie s’il n’est pas de dimension finie, c’est-à-dire s’il n’existe pas de système fini de générateurs. » Vous me direz : cette définition n'interdit pas qu'il existe un système infini de générateurs. Mais si c'était le cas, on aurait des combinaisons linéaires infinies, ce qui est un non sens (sinon on aurait des absurdités du genre : l'exponentielle est un polynôme en tant que combinaison linéaire de polynômes...)

Donc c'est bien clair ? Un espace vectoriel peut être infini, mais il n'y a rien d'infini dedans, c'est juste un choix de vocabulaire (qui se comprend : les fonctions continues sur un intervalle sont limites uniformes de polynômes, donc d'éléments d'espaces vectoriels dont la dimension tend vers l'infini ; pareil avec les approximations par séries de Fourier).

7) Et l'infini non dénombrable ?

Les souvenirs de fac m'ont laissé croire que là, oui, il y a de l'infini. En fait, je crois qu'étant étudiant je croyais qu'il y avait en effet de l'infini là-dedans. Or c'est faux.

Comme pour les points précédents, j'ai dû soulever le capot pour comprendre ce qui se passe, donc regarder de près la démonstration du fait qu'il n'existe pas de bijection entre les entiers et [0,1]. Je parle de la démonstration avec l'argument diagonal de Cantor (je ne vais pas toutes les regarder non plus...)

J'ai trouvé plusieurs présentations, et pour moi elles ont toutes deux défauts :
- toutes utilisent un raisonnement par l'absurde inutile - rien de tel pour brouiller ;
- toutes font croire qu'on a besoin d'écrire la liste de tous les réels mis en bijection avec N (numérotés), ce qui serait manipuler une infinité de réels.

Voyons par exemple ce site : http://www.presse-agrume.net/argument-diagonal-cantor.html . La démonstration est présentée clairement, je n'ai rien à lui reprocher, sinon qu'elle absurdise inutilement (mais tout le monde le fait) et qu'elle fait croire à une infinité de nombres ayant une infinité de décimales à l'aide de trois petits points qui jouent le rôle d'un capot (ils cachent une opération qui concerne des objets en nombre fini). En tout cas c'est du bon boulot car j'ai compris très vite, mais je l'ai réécrite à ma sauce - celle qui ne cache pas le moteur.

On veut montrer qu'il n'existe pas de bijection entre N et [0,1], autrement dit que toute injection u de N dans [0,1[ n'est pas surjective, autrement dit que si u est une injection de N dans [0,1[ alors il existe un x réel dans [0,1] qui n'est l'image d'aucun entier. (Tout ça, c'est pour ne pas absurdiser.)

Une injection, c'est une suite dont tous les termes sont deux à deux distincts. Soit (u) une telle suite, supposée à valeurs dans [0,1]. Il s'agit de montrer qu'il existe x réel dans [0,1] tel que .

Mettons en place l'argument diagonal. Soit n un entier quelconque (aussi grand qu'on veut). Je construis un nombre décimal de la façon suivante : son chiffre des unités est 0, et pour tout k entre 1 et n, son k-ème chiffre est différent du k-ème chiffre de ( est un nombre réel, mais je n'ai pas besoin d'écrire toutes ses décimales, juste ses k premières). Je peux toujours choisir un chiffre différent (il y a 9 choix possibles), de sorte que est différent de chacun des (et il est compris entre 0 et 1).

Cela est valable pour n quelconque, j'ai donc démontré que pour tout n on a :


Comme c'est vrai pour tout n, c'est vrai par passage à la limite (lequel passage à la limite signifie qu'on s'approche autant qu'on veut du nombre réel qui est limite des ), d'où :



est un nombre réel compris entre 0 et 1, CQFD.

Et il n'y a rien eu d'infini là-dedans !

Je suis sûr que ceux qui rédigent de telles démonstrations le savent, qu'il savent que les trois petits points cachent un passage à la limite, etc., mais est-ce que leurs lecteurs le savent ? Savent-ils qu'il n'y a pas d'infinis en maths sinon comme façon de parler ?

8) Et l'axiome de l'infini ?

Après recherche Google, voici ce que j'ai trouvé comme énoncé de cet axiome : « Il existe un ensemble bien ordonné sans élément maximal »

Vous avez vu ? Ça rejoint la définition comme quoi un ensemble est dit infini si pour tout ENSemble, il existe d'autres éléments. Mais tout ENSemble est fini. Donc l'axiome de l'infini n'implique pas l'existence de l'infini, il implique la possibilité de ne pas avoir d'élément maximal (et tous les éléments sont finis).

Le lien Google que je viens de trouver parle d'ensembles infinis, mais là encore ça reste une façon de parler puisqu'il n'y a rien d'infini dans la construction. C'est pour ça que je crains qu'à force de laisser le capot fermé et de raisonner au niveau supérieur, on peut tomber dans des confusions.

Au fait, à propos d'axiomes, il y a l'axiome du choix : si j'assume mes opinions, je crois que je vais devoir rejeter l'axiome du choix sur les ensembles infinis. Je perdrais beaucoup ?

C'est fini

Eh oui, encore « fini » ! Merci d'avoir été jusqu'au bout ! J'espère que vous n'avez pas trouvé que je sodomisais des mouches ou que je chipotais pour rien. Un matheux doit s'intéresser à ces choses là, non ?

Si vous pensez que je me plante, n'hésitez pas à me dire en quoi. Je suis têtu, mais si j'ai tort je finis par l'admettre (souvent avec un peu de retard...) Je serais ravi de lire d'autres messages (aussi longs qu'on veut) sur ce thème en tout cas.

Connaissez-vous des textes qui confirment ce que je dis ou qui, au contraire, disent le contraire ? (J'espère ne pas être le seul à m'intéresser à ces détails...)

Monsieur23
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par Monsieur23 » 17 Mar 2015, 15:52

Aloha,

Rapidement, quelques points :
— je ne comprends pas tes réticences à utiliser les ensembles, et notations ensemblistes : on bosse en théorie des ensembles, donc on utilise des ensembles, non ?
— je suis d'accord avec toi, le symbole en analyse n'est qu'un raccourci pour dire 'aussi grand qu'on veut'. D'ailleurs, on n'utilise pas ce symbole en théorie des ensembles.
—
Qu'est-ce qu'un ensemble infini ? On voit souvent cette définition : c'est un ensemble qui peut être mis en bijection avec toute partie stricte de lui même.

Ça me paraît faux… R est infini, mais ne peut pas être mis en bijection avec N, qui est pourtant une partie stricte de R.
« Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! »

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mathelot
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par mathelot » 17 Mar 2015, 16:10

bonjour

i) l'existence de l'infini est un axiome. Donc on peut prendre sa négation comme hypothèse de travail
ii) les développements illimités impropres du style
0.999999...=1
donnent la connexité de R. la question se pose donc: peut on démontrer que
est connexe sans développements décimaux impropres?
iii) le tableau de Cantor (argument diagonal) est un artifice pédagogique
qui permet de comprendre rapidement le problème.
on pourrait très bien présenter cet argument diagonal sans visuel avec des quantificateurs.

Robic
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par Robic » 17 Mar 2015, 16:14

Merci pour vos commentaires !

Monsieur23 : la réticence concernant la notation des ensembles, c'est lorsqu'elle n'est pas nécessaire, comme dans mon exemple avec les droites perpendiculaires, ou lorsqu'on résout des équations différentielles avec des fonctions continûment dérivables. Dans ces exemples ça n'apporte rien de dire que f appartient à l'ensemble (par exemple). Et même quand on utilise des entiers. Pour faire une récurrence permettant de vérifier qu'une suite est majorée, j'ai besoin des propriétés des entiers, par exemple de l'axiome de récurrence, donc les entiers que j'introduis, je le fais non pas en tant qu'éléments d'un ensemble mais en tant que nombres qui jouissent de certaines propriétés. Sinon je trouve que ça noie le poisson.

Pour la définition, j'ai tapé trop vite : c'est un ensemble qui peut être mis en bijection avec une partie stricte de lui même. En tout cas je sais qu'il y a une définition qui ressemble à ça.

Mathelot :

l'existence de l'infini est un axiome

Si tu parles de l'axiome de l'infini, j'ai donné son énoncé, il n'implique pas l'existence de l'infini en tant que tel (juste l'inexistence d'un plus grand élément).

ii) les développements illimités impropres du style
0.999999...=1
donnent la connexité de R. la question se pose donc: peut on démontrer que \mathbb{R}
est connexe sans développements décimaux impropres?

Je ne vois aucune raison de refuser que ces nombres existent : ce sont des limites de séries. C'est même en les voyant comme limites de série qu'on comprend que, par exemple, 0,999... = 1.

Monsieur23
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par Monsieur23 » 17 Mar 2015, 16:18

la réticence concernant la notation des ensembles, c'est lorsqu'elle n'est pas nécessaire, comme dans mon exemple avec les droites perpendiculaires, ou lorsqu'on résout des équations différentielles avec des fonctions continûment dérivables. Dans ces exemples ça n'apporte rien de dire que f appartient à l'ensemble C^2 (par exemple). Et même quand on utilise des entiers. Pour faire une récurrence permettant de vérifier qu'une suite est majorée, j'ai besoin des propriétés des entiers, par exemple de l'axiome de récurrence, donc les entiers que j'introduis, je le fais non pas en tant qu'éléments d'un ensemble mais en tant que nombres qui jouissent de certaines propriétés. Sinon je trouve que ça noie le poisson.


Ce que je veux dire, c'est qu'en maths, il n'y a que des ensembles : c'est le reste qui n'est pas rigoureux.
Si on voulait être vraiment rigoureux, on n'écrirait que des formules logiques (mais ça serait chiant, j'avoue).
« Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! »

Robic
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par Robic » 17 Mar 2015, 16:23

Je ne peux pas accepter cette vision des maths. En géométrie on a des droites et certaines droites sont perpendiculaires à d'autres. Parler de l'ensemble Perp(d) (les droites perpendiculaires à d) me paraît très artificiel. Je préfère dire que d et d' sont perpendiculaires plutôt qu'écrire d' appartient à Perp(d). Il y a donc un contexte où ce sont les propriétés qui sont importantes. Je sais, les droites sont des ensemble de points, mais je ne vois aucune raison de mettre "en ensemble" la notion de perpendicularité, ou de parallélisme, ou autre.

Monsieur23
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par Monsieur23 » 17 Mar 2015, 16:29

Je préfère dire que d et d' sont perpendiculaires plutôt qu'écrire d' appartient à Perp(d).


Quand tu dis "d et d' sont perpendiculaires", c'est juste un raccourci pour dire .

Si tu ne veux pas utiliser d'ensembles, à toi de trouver une autre fondation des mathématiques. Mais pour l'instant, quasiment tous les mathématiciens travaillent en théorie des ensembles.
« Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! »

Robic
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par Robic » 17 Mar 2015, 16:32

Quand tu dis "d et d' sont perpendiculaires", c'est juste un raccourci pour dire

Argh ! Dire que pour moi c'est le contraire... Ma compréhension des maths est faite autrement. Elle est faite de propriétés, de liens entre objets, de fonctions, etc. mais pas de cette généralisation où les ensembles englobent tout. C'est du cannibalisme !

Doraki
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par Doraki » 17 Mar 2015, 17:49

Robic a écrit: Vous me direz : cette définition n'interdit pas qu'il existe un système infini de générateurs. Mais si c'était le cas, on aurait des combinaisons linéaires infinies, ce qui est un non sens (sinon on aurait des absurdités du genre : l'exponentielle est un polynôme en tant que combinaison linéaire de polynômes...)

Tu es le seul à parler de combiniasons linéaires infinies.
Dans toutes les définitions de bases ou de famille génératrice, les combinaisons linéaires en question sont finies.

Après il y a des bases hilbertiennes mais c'est autre chose.

Cela est valable pour n quelconque, j'ai donc démontré que pour tout n on a :


Comme c'est vrai pour tout n, c'est vrai par passage à la limite (lequel passage à la limite signifie qu'on s'approche autant qu'on veut du nombre réel qui est limite des ), d'où :


Tu dis n'importe quoi

---

Tu peux partir en guerre contre toutes les définitions nouvelles que tu rencontres si ça te chante,
sous prétexte que tu n'en as pas besoin et que tu peux réécrire la définition à chaque fois,

mais moi je trouve ça bien pratique de pouvoir parler d'un ensemble topologique R u {-l'infini ; + l'infini} ou alors N u {infini} de sorte que les "limites en + l'infini" deviennent la même chose que des limites normales.
Comme ça on a pas à démontrer un million de fois que par exemple si les limites de f(x) et de g(x) quand x tend vers truc existent alors la limite de f(x)+g(x) quand x tend vers truc existe aussi et vaut la somme des deux limites

C'est bien pratique d'avoir R' = R u {infini} et de pouvoir dire que les fractions rationnelles sont des applications continues de R' dans R'.

---

Ensuite, avant de donner la définition de ce qu'est "un ensemble infini"
il faut peut-être donner la définition de ce qu'est "un ensemble fini".

Moi le 1er truc qui me vient à l'esprit c'est qu'un ensemble fini ne peut pas être mis en bijection avec un de ses sous-ensembles stricts, et donc que les ensembles infinis ce sont les autres.

Si on décide de qualifier d'infini un ensemble qui peut être en bijection avec un sous-ensemble strict, c'est notre droit, on aurait pu appeler ça des ensembles roses fluos mais ça aurait moins marché.

Toutes les fois où on parle d'infini en maths, il y a une définition quelquepart. On se fiche pas mal de ce que les gens normaux appellent "infini" et ce qu'ils n'appellent pas "infini".

---

Après j'ai l'impression que tu t'arraches les cheveux sur des technicalités quand tu parles de limites, de pi ou de racine(2). Oui quand on écrit une suite de décimale avec des points de suspension ça veut dire que le nombre qu'on décrit est une limite d'une suite donnée par le contexte, je vois pas où est la révolution là-dedans.

Sylviel
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par Sylviel » 17 Mar 2015, 18:01

Je n'ai pas tout lu (tu as raison, c'est long) mais tu te trompes en pensant que la droite réelle achevée n'est qu'un argument d'écriture. Si un jour tu fais de l'analyse convexe (utile pour l'optimisation) tu verras que l'on considère quasi-systématiquement que les fonctions convexes sont à valeur dans R U{+oo}, ou dans la droite achevée suivant les livres. Et l'on utilise très largement des fonctions indicatrices ayant pour valeur 0 ou +oo. En effet minimiser f sous la contrainte que g(x)=0 c'est la même chose que minimiser f + I_{g(x)=0} où I vaut 0 si g(x)=0 et +oo sinon.
Bref l'infini est bien utilisé en mathématique (et pas seulement pour dire : une suite tends vers +oo) :zen:

Au passage tes deux définitions d'ensemble infini me semble bancales ;-)
Merci de répondre aux questions posées, ce sont des indications pour vous aider à résoudre vos exercices.

nodjim
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par nodjim » 17 Mar 2015, 18:41

L'infini est tout de même une des composantes naturelles de notre environnement. Les maths ont aussi pour fonction de modéliser cet environnement. Comment dire autrement par exemple qu'entre 2 points sur un segment on peut en insérer une infinité ? Je me demande si la question ne porte pas davantage sur une sémantique qui ne plait pas.
Pourrais tu dire exactement ce que tu reproches à par exemple l'infini des entiers ? Le fait de dire que quel soit un nombre donné, on en trouvera un autre plus grand n'est il pas suffisant à prouver l'infini de cet ensemble ?
Ce serait mieux que tu cibles ton argumentation sur un point particulier, je pense, car je ne suis pas sûr d'avoir bien compris tes réticences sur l'infini.
Au plaisir de te lire.

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leon1789
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par leon1789 » 17 Mar 2015, 18:51

Je n'ai pas tout lu évidemment.

6) Et les espaces vectoriels de dimension infinie ?

Un espace vectoriel de dimension infinie, ce n'est pas un espace vectoriel avec une base infinie. Voici la définition que j'ai trouvée en allant sur le premier site fournit par une recherche Google : « Soit E un espace vectoriel. Par définition on dit que E est de dimension infinie s’il n’est pas de dimension finie, c’est-à-dire s’il n’existe pas de système fini de générateurs. » Vous me direz : cette définition n'interdit pas qu'il existe un système infini de générateurs. Mais si c'était le cas, on aurait des combinaisons linéaires infinies, ce qui est un non sens (sinon on aurait des absurdités du genre : l'exponentielle est un polynôme en tant que combinaison linéaire de polynômes...)


Je ne vois pas en quoi un système générateur infini provoque des combinaisons linéaires infinies.

Par exemple, le plus simple des exemples en dimension infinie :
R[X], l'algèbre des polynômes en X à coeffs réels, possède un système générateur infini (une base même !) qui est l'ensemble des puissances de X, à savoir {1, X, X², ... }
Evidemment qu'un polynôme n'est qu'une combinaison finie d'éléments de cette base !

Menfin, il faudrait peut-être revoir la définition d'une famille génératrice ! :lol3:



EDIT : bon, la remarque a déjà été faite. Pas étonnant.

L.A.
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par L.A. » 17 Mar 2015, 19:43

Bonjour,

Pour moi, tu as une vision des maths "à l'ancienne", voire "à l'antique". Certes, Pythagore ne croyait peut-être pas au fond de lui que les irrationnels existassent (subjonctif imparfait, ne nous en privons pas quand l'occasion se présente) mais il a aussi constaté et admis malgré lui que cette conviction menait à des contradictions. Et après lui les gens ont compris ce qu'étaient vraiment les irrationnels, ont appris à les manipuler, trouvé la bonne façon d'en parler de manière rigoureuse, etc... et se sont peu à peu convaincu que les irrationnels "existent" puisqu'ils s'intégraient à une mécanique parfaitement bien huilée.

Alors que sans eux, en les niant "mordicus" d'après des convictions sans doute d'origine métaphysique ou extra-mathématiques disons, il semblait manquer des boulons un peu partout, et le fameux "moteur" dont tu parles risquait fort de lâcher avant d'avoir été bien loin.

Ce que je veux dire, c'est que les maths et les sciences en général évoluent sans cesse, parfois par de grands bonds qui ont été plus ou moins longs à être acceptés, et que c'est une bonne chose. Si tu ne veux parler ni d'ensembles, ni d'infini, libre à toi, mais du coup tu manqueras d'outils et auras beaucoup plus de mal à avancer. Pythagore ne connaissait pas non plus Internet, est-ce pour cela que les mathématiciens actuels ne devraient pas s'en servir ? Bon je charrie, mais je pense que tu ne convaincras aucune personne bien informée que "l'infini n'existe pas", tout le monde baigne dans ça depuis trop longtemps, tu ne feras que t'exclure toi-même.

D'abord, qu'est-ce que ça veut dire "l'infini ça n'existe pas" ? Les maths sont fondées sur des axiomes, donc tout existe et n'existe pas, d'ailleurs pourquoi s'y user la santé du coup ? Parce que certains axiomes ont l'air plus valables que d'autres, qu'ils mènent à des théories non contradictoires (je ne connais pas le vocabulaire exact des théorèmes de Gödel et tout ça mais bref) et utiles, qui permettent d'envoyer des hommes dans l'espace et accessoirement de faire bouillir la marmite. Et la théorie des ensembles fait (pour moi) partie de ces axiomes très utiles, voire indispensables, quant à l'infini, tu as en face de toi quelqu'un qui s'intéresse de près au dessin en perspective et qui frissonne d'horreur en entendant que "l'infini n'est même pas nombre".

Certes, j'admets que l'infini n'est peut être pas un nombre (parce que les opérations usuelles ne sont pas bien définies avec lui), mais en géométrie c'est clair pour moi que c'est un point ou un ensemble de points (j'utilise le mot ensemble, j'espère que ça ne te choque pas :zen:). Ce qui entre en jeu ici c'est la notion de "compactification". Comme tu l'as fait remarquer très justement, dire que Rbarre est fermé ne rime à rien, ce qui compte c'est qu'il est COMPACT tandis que R ne l'est pas. Et pour certaines théories, certains théorèmes, il est utile de considérer que R est inclus dans un compact que l'on sort pour l'occasion, et donc comme ça la science progresse, et blablabla. Je te suggère de regarder aussi le cas de la droite projective (où on identifie +infini et -infini en un seul point), les homographies, la sphère de Riemann, etc... Une homographie est une application qui permet entre autres de faire un échange entre des points normaux et des points à l'infini. Comment dire après ça que l'infini n'existe pas ? Que ce n'est pas un point comme un autre ? Basiquement on utilise des homographies pour prouver certains théorèmes sans avoir à distinguer les cas éventuels de parallélisme (en vrai de vrai deux droites parallèles se rencontrent à l'infini, eh oui...).

PS HS : et les nombres complexes ? quel est ton avis sur la question ?

Concernant maintenant la définition des ensembles infinis, je suis moins à l'aise pour te contredire sur ses questions d'axiomes parce que ça m'intéresse moins, même si je ne suis pas d'accord avec toi. Je trouve justement que la définition que tu n'aimes pas (bijection avec une partie stricte) est celle qui fait le moins appel à la notion d'infini. Au contraire, dans celle que tu proposes, il y a cette ensemble fini mais qui croit "indéfiniment"... bref ce n'est qu'une question esthétique mais il me semble que tu sors une justification qui prouve précisément le contraire de ce que tu veux dire.

Pour tes réflexions sur les suites et les limites, le mot qui me vient à l'esprit est "hérétiques". Une suite est la manifestation la plus simple et la plus éclatante du pouvoir de l'infini par rapport au fini. C'est une façon d'accéder à l'adhérence d'un ensemble qui n'est pas fermé tout en restant dans cet ensemble (encore le mot "ensemble" ! c'est presque aussi naturel que respirer !), moyennant le recours à une famille infinie. On ne peut pas parler de suite si on n'admet pas l'existence de l'infini. Prenons pi, comme tout réel il est limite d'une suite de rationnels. Certes chacun de ces rationnels est fini, c'est une somme partielle finie. Mais aucune de ces sommes n'est pi, aucun ensemble fini de ces sommes n'est pi, pi résulte forcément de l'ensemble de ces sommes partielles qui LUI est infini.

Ca rejoint finalement mon paragraphe précédent, et j'ai une question qui me vient. En bref tu dis qu'un ensemble infini c'est un ensemble qui n'est pas fini. Alors qu'est-ce qu'un ensemble fini selon toi ? Si tu me dis "un ensemble qui n'est pas en bijection avec une partie stricte" je te tape (gentiment) et te dis que tu tournes en rond.
(Edit : Doraki l'a déjà dit)

Pour conclure sur une note d'humour
http://www.videoty.com/kaamelott-l-inspiration
"... l'homme, face à l'absurde."

Robic
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par Robic » 18 Mar 2015, 03:44

Merci pour vos nombreuses réactions (et votre relative indulgence si j'ai dit des bêtises - apparemment il faudrait que je revoie mon utilisation "finie" de la diagonale de Cantor, ah...) J'ai tout lu, j'ai compris qu'il y a des faiblesses dans mes raisonnements et certaines me turlupinent, mais pas plus. Je réponds à certains passages :

Doraki a écrit:Tu es le seul à parler de combiniasons linéaires infinies.
Dans toutes les définitions de bases ou de famille génératrice, les combinaisons linéaires en question sont finies.

Mais c'est bien ce que je disais, justement (je disais que si on accepte les combinaisons linéaires infinies, alors l'exponentielle serait un polynôme).

Si on décide de qualifier d'infini un ensemble qui peut être en bijection avec un sous-ensemble strict, c'est notre droit

Je ne conteste pas, je dis juste qu'en pratique on utilise une autre définition, en tout cas dans les sujets basiques dont j'ai entendu parler (par exemple pour démontrer qu'il y a une infinité de nombres premiers).

Oui quand on écrit une suite de décimale avec des points de suspension ça veut dire que le nombre qu'on décrit est une limite d'une suite donnée par le contexte, je vois pas où est la révolution là-dedans.

Je n'ai pas dit qu'il y a une révolution, ce n'est pas le sujet. C'est juste que j'ai l'impression que certaines personnes croient qu'on considère les réels comme des nombres ayant une infinité de décimales (par exemple) juste parce qu'on met des petits points.

Sylviel a écrit:Bref l'infini est bien utilisé en mathématique (et pas seulement pour dire : une suite tends vers +oo)

Ton explication me convainc plutôt que c'est bien pratique, ce qui n'est pas la même chose.

Nodjim a écrit:L'infini est tout de même une des composantes naturelles de notre environnement.

Rien n'est infini dans notre environnement. Il n'y a pas de quantités infinies en physique.

Comment dire autrement par exemple qu'entre 2 points sur un segment on peut en insérer une infinité ?

C'est une façon pratique et concise de dire qu'on peut en mettre autant qu'on veut.

Le fait de dire que quel soit un nombre donné, on en trouvera un autre plus grand n'est il pas suffisant à prouver l'infini de cet ensemble ?

Oui, mais le mot « infini » ne signifie que ça (on pourra toujours ajouter un élément plus grand), il ne signifie pas, par exemple, qu'on peut considérer la totalité des entiers afin d'en prélever un dedans.

Leon1789 a écrit:[...]Je ne vois pas en quoi un système générateur infini provoque des combinaisons linéaires infinies.

Tu as raison. Mais ça ne change pas ce que je voulais dire : ce que je voulais dire, c'est que dans un espace vectoriel de dimension infinie il n'y a pas d'infinis. Par exemple on aurait tort de croire que les éléments d'un espace vectoriel ont une infinité de coordonnées. Effectivement on peut définir une famille génératrice infinie, autrement dit considérer des combinaisons linéaires aussi grandes qu'on veut - mais finies.

L.A. a écrit:je pense que tu ne convaincras aucune personne bien informée que "l'infini n'existe pas", tout le monde baigne dans ça depuis trop longtemps, tu ne feras que t'exclure toi-même.

Je ne suis pas là pour convaincre, juste pour discuter et essayer de comprendre. Je ne m'exclurai pas car je reste pragmatique. Au pire j'arrêterai d'écrire « » : « soit n un entier » suffira.

D'abord, qu'est-ce que ça veut dire "l'infini ça n'existe pas" ?

Le titre était un peu provocateur... Mais ce que j'ai cherché à montrer, c'est que lorsqu'on parle d'infini en maths, c'est en fait en tant qu'abréviation ou façon de parler et qu'en réalité on ne manipule rien d'infini, l'exemple typique étant celui des limites.

mais en géométrie c'est clair pour moi que c'est un point ou un ensemble de points (j'utilise le mot ensemble, j'espère que ça ne te choque pas ).

Si je voulais me débarrasser des ensembles (et j'en ai envie... le soit disant paradis de Cantor dont parlait je ne sais plus qui (Hilbert ?) me fait peur, je me demande si on n'est pas chez les sirènes...) je les remplacerai par des propriétés d'une façon qui pourrait ressembler à ça : « On dit que M est un point de la droite (AB) s'il est aligné avec A et B. » Ainsi il n'y a pas d'infini : je prends les points M un par un et je regarde s'ils sont alignés. Disons que la droite est une sorte de potentialité (tous les points sont disponibles, mais je n'ai jamais besoin de les considérer dans leur totalité en même temps).

Je te suggère de regarder aussi le cas de la droite projective (où on identifie +infini et -infini en un seul point)

Ah, je l'ai oublié, celui-là. Le soi disant point à l'infini, c'est du vocabulaire ancien (le point de fuite) mais mathématiquement c'est une direction.

Je trouve justement que la définition que tu n'aimes pas (bijection avec une partie stricte) est celle qui fait le moins appel à la notion d'infini.

Tiens, c'est vrai...

Prenons pi, comme tout réel il est limite d'une suite de rationnels.[...]

Pour moi un nombre réel est la limite d'une suite de rationnel, ce qui le définit. Mais c'est vrai que cette définition suggère, dans ma tête, que le nombre réel n'existe en quelque sorte jamais, puisqu'on ne l'atteint jamais, qu'il n'existe que potentiellement. Or la limite de la série géométrique des 1/2 est entière donc elle existe plus que potentiellement, du coup il faut que je regarde de près comment sont construits les réels.

En fait, j'avais en tête la construction à partir de développements décimaux, qui sont des séries, en me disant : une série convergente admet une limite qu'on appellera un nombre réelle, mais la convergence de séries se fait à l'aide de théorèmes qui se démontrent avec les propriétés des réels, donc ça ne suffit pas.

Mince, je ne sais plus ce qu'est un nombre irrationnel... :hum:

Pour moi, tu as une vision des maths "à l'ancienne", voire "à l'antique".

Oui, là je suis à deux doigts de rejeter les irrationnels, aïe...

Alors qu'est-ce qu'un ensemble fini selon toi ?

Un ensemble fini est un ensemble qui peut être mis en bijection avec l'ENSemble des entiers compris entre 1 et n pour un certain n.

Skullkid a écrit:avant de se demander si l'infini existe ou pas

En fait ce n'était pas le sujet, je suis désolé pour le titre trompeur. Le sujet, c'est : on dirait que des gens croient qu'en maths, on manipule des infinis (au sens peut-être du « concept trop mystérieux » que tu citais) alors que j'ai l'impression qu'en réalité rien n'est infini (au sens que tout se fait avec les notions usuelles). Exemple une série n'est pas un somme infinie de termes, c'est une limite.

C'est tout à fait vrai que formellement c'est un raccourci pratique. Mais ça n'est pas une raison pour s'en passer, au contraire !

Je suis d'accord. Ce que je disais, c'est : ce n'est pas parce qu'on utilise ce raccourci que pour autant on parle d'une chose mystérieuse qu'on appellerait l'infini. Par exemple lorsqu'on détermine une limite de suite en l'infini, on regarde juste si, pour tout espilon, on peut trouver un rang à partir duquel etc. Il n'y a rien de nouveau là-dedans.

Et en raisonnant sur l'ensemble lui-même, on peut apprendre des choses qu'on n'aurait sans doute pas pu trouver en se contenant de raisonner sur ses éléments.

Ça c'est en effet une bonne raison de parler d'ensemble (*). Mais ça ne justifie pas ce qui me paraît un abus comme dans mon exemple où on remplacerait la propriété d'être perpendiculaire par un ensemble Perp(d), ni de dire dans une démonstration par récurrence (par ex.) qui n'utilise en aucun cas toutes ces propriétés de N mais seulement les propriétés des entiers (donc dire « soit n un entier » suffit.

(*) Le pire, c'est que je ne suis même pas totalement convaincu. En fait j'aimerais voir ce qui se passe (à faire un de ces jours) si on remplace la définition d'un groupe G « G est un ensemble muni d'une opération etc. » par « G est une propriété que possèdent des objets pour lesquels il existe une opération etc. » (en remplaçant l'ensemble par la propriété qu'elle exprime, par exemple N par les propriétés des entiers). Car je ne vois pas en quoi le concept d'ensemble s'impose : quand tu dis « tout naturellement on se met à classifier, à ranger dans un même sac (un ensemble) les objets qui ont des propriétés similaires », je suis d'accord et je constate que le point clé, ce sont les propriétés.

À ce point, mon premier objectif va être de comprendre une construction des réels (celle à base de développements décimaux me paraît bancale, on verra). Car ça m'embête un peu de ne plus savoir ce qu'est un irrationnel ! Aujourd'hui, dans mon esprit, il y a deux concepts d'existence : l'existence effective (qui impose des objets finis) et l'existence potentielle (l'ensemble des entiers n'existe que dans la mesure où on peut toujours exhiber un entier, mais on ne peut pas - effectivement - les exhiber tous). Finalement, j'avais des idées vagues de tout ça ces dernières années, mais de m'obliger à taper ce long texte et vous répondre m'a fait plus réfléchir en quelques heures qu'en deux ou trois ans...

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A y est, je comprends à nouveau ce que sont les nombres réels ! Pffouuu... (Je tape la suite de ce message ici et pas dans un nouveau message pour ne pas donner l'impression de flooder, en tout cas rassurez-vous : je ne vais pas tartiner des pages et des pages tous les jours, ma "crise" finira par retomber...) Et je confirme qu'il n'y a pas d'infinis dedans. Dire que les réels sont des nombres ayant une infinité de décimales est au mieux trompeur (c'est une façon de parler), au pire faux.

J'ai cru comprendre les réels durant de nombreuses années, et finalement il a fallu non seulement soulever le capot, mais même démonter le moteur, pour mieux comprendre. Quand j'étais à la fac, le prof d'amphi nous avait montré la méthode des coupures, j'ai recopié bêtement le tableau et ça n'a jamais servi. Depuis peu je possède un livre de L1 qui construit les réels à partir de développements décimaux, mais j'ai dû comprendre de travers. Entre temps je savais qu'on considérait les réels comme limites de suites de rationnels. Et depuis cette nuit ça me pose un problème : cette limite n'est pas toujours rationnelle, et elle n'est pas réelle tant qu'on ne les a pas construits, du coup cette expression ne veut rien dire.

Voilà maintenant ce que je comprends : les nombres réels ne sont pas des nombres mais des classes d'équivalence de suites de Cauchy rationnelles (par rapport à la relation d'équivalence x~y si x-y peut s'approcher autant qu'on veut de zéro). Ce ne sont même pas des limites !

- Quand je dis que ce ne sont pas des nombres, je veux dire par là que je refuse de les appeler ainsi car ça m'a trompé. Ce sont des réels.

- Si on dit que les réels sont les limites des suites de Cauchy rationnelles, leur existence n'est que potentielle (une limite, c'est juste une façon de dire qu'on s'approche autant qu'on veut). Donc je préfère dire que les réels sont juste les suites de Cauchy, qui ont une existence effective.

Il se trouve que certains réels sont rationnels (ie parmi leurs représentants il y a des suites de Cauchy qui convergent au sens usuel vers des rationnels) et qu'on a étendu les opérations élémentaires aux classes d'équivalence de suites de Cauchy rationnels, mais je préfère ne pas les nommer des nombres. C'est vrai que, du coup, on doit les nommer des nombres : on peut les additionner, les soustraire, tout ça... OK, ce sont des nombres. Mais attention : des nombres qui sont d'une nature différente.

Quand j'écris , je dis juste que je considère une suite de Cauchy rationnelle (un représentant de la classe x) qui a la propriété que le carré des termes s'approche autant qu'on veut de 2. Une de ces suites, c'est celle construite en base 10. Mais il n'existe pas de représentation en base 10 de x (comme je le croyais autrefois) : x est une classe d'équivalence de suites de Cauchy, on ne peut pas écrire en base 10 un objet pareil ! Par contre on peut écrire en base 10 chaque terme de chaque suite de sa classe.

Tout ça pour dire qu'on peut parler de nombres réels sans employer le mot infini.

Et je suis persuadé (j'ai confiance) qu'on peut démontrer que pour toute suite de réels distincts deux à deux (c'est-à-dire pour toute suite de suites de Cauchy rationnelles non équivalentes deux à deux), il existe une suite de Cauchy rationnelle, donc un réel, qui n'est pas dans les N premiers termes de la suite quel que soit N (c'est une façon que je préfère de dire que R n'est pas dénombrable, car "dénombrable" suggère un infini alors que l'infini n'est qu'un artifice de langage). Je pense que ma première version de la démonstration est pas loin d'être bonne, je me suis embrouillé tout seul avec mon passage à la limite mais si je l'enlève je crois que j'y suis presque.

Robic
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par Robic » 18 Mar 2015, 04:59

Après une recherche rapide sur Internet, je viens d'apprendre qu'il existe une école de pensée s'appelant le finitisme avec qui j'ai peut-être des points communs. En cherchant avec Google et des mots clés du genre "l'infini n'existe pas" je suis tombé sur cette discussion : http://www.les-mathematiques.net/phorum/read.php?16,400331 . Tiens, il y a un certain Mathelot, que j'ai souvent croisé par ici (si c'est le même) et qui a des idées qui m'intéressent !

Sur le finitisme, j'ai parcouru rapidement http://monblogdereflexions.blog.tdg.ch/tag/m%C3%A9thode+finitiste . J'aime bien « Une grande part des difficultés est issue du concept d'infini actuel, c'est à dire de l'infini considéré comme un tout achevé et non comme une simple potentialité. » Voilà, c'est le mot-clé : une potentialité !

Ah, et ils posent la question qui est le sujet de cette discussion :
« Cependant, devait-il [l'infini] être considéré en tant que potentialité (possibilité de rajouter toujours de nouveaux objets), ou comme actualité (collection d'une infinité d'objets existant simultanément à un moment donné)? »
--> Pour moi la réponse est la première, mais j'ai longtemps admis la seconde (faute d'y avoir vraiment réfléchi).

À relire à tête reposée...

Robic
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par Robic » 18 Mar 2015, 07:05

Revoici la démonstration de la non-dénombrabilité de R. Cette fois je crois qu'elle tient la route.

Ce qu'il faut démontrer (vision "infiniste") : il n'existe pas de bijection entre N et [0,1]. Plus exactement (car c'est [0,1] le "plus grand") : il n'existe pas d'injection entre N et [0,1] qui soit surjective. Autrement dit : pour toute injection entre N et [0,1], il existe un réel qui n'a pas d'antécédent.

Les injections de N dans [0,1] sont les suites réelles dans [0,1] dont les éléments sont distincts deux à deux. Il faut donc démontrer :

Pour toute suite réelle (u) dans [0,1] dont les éléments sont distincts deux à deux, il existe tel que

Maintenant, je rappelle que les réels sont des classes d'équivalence de suites de Cauchy rationnelles. Donc les sont des classes d'équivalence deux à deux distinctes, c'est-à-dire des suites de Cauchy rationnelles qui ne sont pas équivalentes deux à deux, et le x dont je vais montrer l'existence est aussi une suite de Cauchy (si la suite existe, la classe d'équivalence aussi).

Il faut donc montrer qu'il existe une suite de Cauchy rationnelle (x) telle que, pour tout entier n, (x) n'est pas équivalente à chacune des suites pour i = 1 à n.

(C'est bien la même chose, car s'il existait j tel que , alors dès que n > j on trouverait ce j.)

Je choisis comme représentant des classes la suite des décimales. Par exemple sera représenté par la suite 0.1, 0.14, 0.141, 0.1415, 0.14159, etc.

Soit n un entier. Soit (u) une suite de réels de [0,1] distincts deux à deux, c'est-à-dire une suite de suites de Cauchy rationnelles non équivalentes deux à deux.

Je construis une suite (x) de la façon suivante (dans cette définition, y est une variable locale qui sert à abréger l'explication) :
- Le terme est construit à partir de y := le premier terme de la suite de Cauchy : c'est un nombre à 1 décimale dont la décimale est différente de la première décimale de y.
- Le terme est construit à partir de y := le deuxième terme de la suite de Cauchy : c'est un nombre à 2 décimales, la 1ère étant identique à celle de , la deuxième étant choisie différente de celle de y.
- Et ainsi de suite pour k entre 1 et n.

C'est la construction habituelle, simplement j'utilise directement les suites de Cauchy, donc ça alourdit les choses... Voici un exemple pour voir comment ça marche (je n'écris que 6 décimales pour abréger mais il y en a un certain nombre - toujours fini) :

u1 = 0.635870, 0.692812, 0.693075, 0.693145, 0.693147, ... (elle tend vers ln(2))
u2 = 0.363856, 0.366212, 0.367580, 0.367871, 0.367878, ... (elle tend vers exp(-1))
u3 = 0.705442, 0.707328, 0.707181, 0.707110, 0.707107, ... (elle tend vers racine(1/2))
u4 = 1,000000, 0.666666, 0.866666, 0.723809, 0.834920, ... (c'est 1-1/3+1/5-1/7...)
u5 = 0,331014, 0.302587, 0.301129, 0.301015, 0.301029, ... (elle tend vers log_10(2))

Je construis (x) en ajoutant au k-ème terme une décimale différente de la k-ème décimale du k-ème terme de uk. Ça peut donner :
x1 = 0.5
x2 = 0.59
x3 = 0.596
x4 = 0.5963
x5 = 0.59637

Chaque terme k diffère d'au moins du k-ème terme de vu que le k-ème chiffre est différent. (*)

J'ai ainsi construit une suite (x) pour k allant de 1 à n qui diffère d'au moins de chaque terme de chaque suite . Et je peux construire cette suite quel que soit n.

Cette suite n'est équivalente à aucune des . En effet, quel que soit la précision voulue, il suffit de choisir pour que (x) diffère de toutes les suites d'au moins , lequel est supérieur à .

De plus la suite (x) est une suite de rationnels et elle est de Cauchy (c'est une suite décimale). J'ai donc bien montré que, pour une suite quelconque de suites de Cauchy rationnelles (u), il existe une suite de Cauchy rationnelle (x) qui n'a pas d'antécédent. Et je l'ai fait sans parler d'infini.

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(*) Je n'en suis plus si sûr : ça dépend des chiffres qui suivent. Pourtant c'était ça l'idée de l'argument diagonal. Zut, il va falloir que je regarde ça de plus près...

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leon1789
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par leon1789 » 18 Mar 2015, 09:38

c'est que dans un espace vectoriel de dimension infinie il n'y a pas d'infinis.
Par exemple on aurait tort de croire que les éléments d'un espace vectoriel ont une infinité de coordonnées

Justement si ! On parle de coordonnées lorsque l'on possède une base. Dans le cas d'une base infinie, chaque élément de l'espace vectoriel possède une infinité de coordonnées (associée à chaque élément de la base infinie), toutes ses coordonnées sont nulles sauf un nombre fini.

Exemple, toujours le même, les polynômes ! Soit P un polynôme : on peut très bien parler de sa coordonnée en X^d quel que soit l'entier d.

Skullkid
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par Skullkid » 18 Mar 2015, 18:32

Ces histoires de potentialité et tout, c'est du blabla qui se prend pour de l'épistémologie. Tu es en train de tomber dans le piège dont je parlais plus haut ("l'infini s'trop chelou tavu"), tu t'éloignes de plus en plus des maths en te focalisant sur des impressions et des ressentis personnels flous.

Robic a écrit:Mais c'est bien ce que je disais, justement (je disais que si on accepte les combinaisons linéaires infinies, alors l'exponentielle serait un polynôme).


Comme dit, dans le cadre de l'algèbre linéaire, on ne considère jamais que des combinaisons linéaires finies (et d'ailleurs on appelle ça des combinaisons linéaires tout court). Et personne de sensé ne dirait que l'exponentielle est un polynôme. Cela dit, ça n'empêche pas de pouvoir donner un sens précis à "combinaison linéaire infinie" dans certains contextes (par exemple les espaces vectoriels topologiques ou les séries formelles). Et j'insiste, ce à quoi on donne un sens dans ces cas, c'est à l'expression "combinaison linéaire infinie", pas juste au mot "infini" tout seul. On aurait très bien pu appeler ça des "combinaisons linéaires jaunes" ou même des "Schmilblick de Schmol", mais comme la nouvelle notion qu'on définit ressemble vachement à ce qu'on obtiendrait intuitivement si on autorisait les combinaisons linéaires à comporter une infinité de termes, ben on appelle ça des combinaisons linéaires infinies.

Robic a écrit:Je ne conteste pas, je dis juste qu'en pratique on utilise une autre définition, en tout cas dans les sujets basiques dont j'ai entendu parler (par exemple pour démontrer qu'il y a une infinité de nombres premiers).


Pourvu qu'on dispose de plusieurs défintions équivalentes d'une même notion (pouvoir être mis en bijection avec une de ses parties propres ne pouvoir être mis en bijection avec aucun des |[1,n]|), on est libre de choisir celle qu'on veut selon le contexte dans lequel on est.

Après, même en faisant fi du contexte d'utilisation, la première définition a l'avantage d'être "minimale" au sens où elle ne fait appel qu'aux notions ensemblistes de bijection et de partie propre. La seconde invoque un ensemble particulier |[1,n]|, ce qui nécessite d'avoir des connaissances préalables sur les entiers et sur la façon dont ils sont ordonnés, et soulève a priori des questions du genre "si au lieu d'un ensemble d'entiers j'avais choisi un ensemble de fruits rouges, la définition obtenue serait-elle équivalente ?".

Robic a écrit:C'est juste que j'ai l'impression que certaines personnes croient qu'on considère les réels comme des nombres ayant une infinité de décimales (par exemple) juste parce qu'on met des petits points.


Je vois pas ce qu'il y a de choquant à considérer (je dis bien "considérer", pas "définir", bien que ce soit possible de donner du sens à une telle définition en précisant le contexte) les réels comme des nombres avec une infinité de décimales. Si on met des petits points c'est justement pour indiquer qu'on s'épargne la corvée d'écrire une infinité de décimales.

Robic a écrit:Rien n'est infini dans notre environnement. Il n'y a pas de quantités infinies en physique.


Pour le coup la première phrase ça ne veut pas dire grand-chose puisque dans notre environnement y a pas d'objets mathématiques. Donc cette notion "d'infini dans notre environnement", si elle a un sens, il n'a aucune raison d'être lié à un infini mathématique.

Pour ce qui est de la physique, si, on y trouve des quantités infinies. Parfois elles sont indésirables et on essaye de les en virer, parfois on leur fout la paix, parfois on les introduit exprès. Dans tous les cas, de telles quantités sont interprétables, on peut dire des choses dessus et leur donner un sens.

Robic a écrit:Oui, mais le mot « infini » ne signifie que ça (on pourra toujours ajouter un élément plus grand), il ne signifie pas, par exemple, qu'on peut considérer la totalité des entiers afin d'en prélever un dedans.


Un des objectifs de base du concept d'ensemble c'est de pouvoir considérer une collection d'objets et de pouvoir piocher dedans. Que l'ensemble soit infini ou pas n'a rien à voir là-dedans.

Robic a écrit:dans un espace vectoriel de dimension infinie il n'y a pas d'infinis


Ça veut dire quoi ? Quand tu dis "dans un espace vectoriel", tu parles des vecteurs qui en sont des éléments ("dans" un ensemble, il y a ses éléments) ? Si oui, ben a priori personne n'a donné de sens à ce que serait un vecteur fini ou infini, donc ce que tu dis n'a pas de sens. Si tu parles plus généralement, par exemple de certaines propriétés de l'espace vectoriel en question, il suffit de te répondre : "si, dans un espace vectoriel de dimension infinie, la dimension est infinie".

Robic a écrit:Mais ce que j'ai cherché à montrer, c'est que lorsqu'on parle d'infini en maths, c'est en fait en tant qu'abréviation ou façon de parler et qu'en réalité on ne manipule rien d'infini, l'exemple typique étant celui des limites.


Même objection que pour l'histoire des espaces vectoriels. Ça veut dire quoi "manipuler quelque chose d'infini" ? Si l'objet qu'on manipule a un nom qui compte le qualificatif "infini", ben de fait on manipule quelque chose d'infini. Que ce qualificatif ne te plaise pas parce qu'il est en contradiction avec une certaine idée que tu te fais du bon emploi du mot "infini", ça n'a rien à voir avec les maths.

Robic a écrit:Si je voulais me débarrasser des ensembles (et j'en ai envie... le soit disant paradis de Cantor dont parlait je ne sais plus qui (Hilbert ?) me fait peur, je me demande si on n'est pas chez les sirènes...) je les remplacerai par des propriétés d'une façon qui pourrait ressembler à ça : « On dit que M est un point de la droite (AB) s'il est aligné avec A et B. » Ainsi il n'y a pas d'infini : je prends les points M un par un et je regarde s'ils sont alignés. Disons que la droite est une sorte de potentialité (tous les points sont disponibles, mais je n'ai jamais besoin de les considérer dans leur totalité en même temps).


Certes, mais que se passe-t-il s'il te prend l'envie folle de compter tes points ? Si ta réponse est "il y en a autant que je veux", tu ne fais qu'une pirouette linguistique. De plus, à partir du moment où tu fais un raisonnement sur "un point qui est aligné avec A et B", ton raisonnement a vocation à être valide pour tous les points alignés avec A et B, donc de fait tu considères la totalité de ces points, que tu le veuilles ou non. Que tu puisses ne pas avoir besoin, dans un certain contexte, de préciser le statut mathématique de la totalité de ces points, soit.

Robic a écrit:En fait j'aimerais voir ce qui se passe (à faire un de ces jours) si on remplace la définition d'un groupe G « G est un ensemble muni d'une opération etc. » par « G est une propriété que possèdent des objets pour lesquels il existe une opération etc. » (en remplaçant l'ensemble par la propriété qu'elle exprime, par exemple N par les propriétés des entiers). Car je ne vois pas en quoi le concept d'ensemble s'impose : quand tu dis « tout naturellement on se met à classifier, à ranger dans un même sac (un ensemble) les objets qui ont des propriétés similaires », je suis d'accord et je constate que le point clé, ce sont les propriétés.


Le souci c'est qu'on fait la différence entre les propriétés de l'ensemble et les propriétés de chacun de ses éléments. Il y a des concepts qui ne font sens que lorsque tu considères plusieurs éléments. Par exemple ça n'a pas de sens de dire que tel élément commute, il commute forcément avec un autre élément. Le simple fait de devoir considérer deux éléments ensemble, ben c'est considérer un ensemble. Tu pourras faire toutes les circonvolutions linguistiques que tu voudras, tu n'y échapperas pas.

Robic a écrit:les nombres réels ne sont pas des nombres mais des classes d'équivalence de suites de Cauchy rationnelles


Oui, c'est une construction possible des réels. Tu questionnes l'appellation de "nombre" qu'on donne à ces classes d'équivalence. Ok, pourquoi pas, mais pourquoi tu ne te poses pas les mêmes questions sur les rationnels ? Tu sais ce que c'est un rationnel si on ouvre le capot ? C'est une classe d'équivalence de couples d'entiers relatifs. Et un entier relatif c'est une classe d'équivalence de couples d'entiers naturels. Et sous le capot d'un entier naturel on peut aussi en voir de belles.

Sans doute est-il plus facile pour toi de "sentir" intuitivement ce qu'est un rationnel, donc tu te permets de les considérer comme acquis. Mais il vient d'où cet acquis ? Personnellement j'ai jamais vu de nombre rationnel "dans mon environnement" (ni de nombre entier, d'ailleurs). Quand je coupe une pomme en deux, je peux appeler les trucs que j'obtiens des "demi pommes" si je veux, mais ça n'est certainement pas une "concrétisation" parfaite de l'objet mathématique abstrait qui s'appelle "1/2" (mes demi pommes ne sont pas identiques, je vais avoir bien du mal à reconstituer la pomme originale, etc). Faut-il pour autant m'interdire de voir un certain rapprochement entre 1/2 et mes demi pommes, voire de profiter de ce rapprochement pour former des prédictions scientifiques sur mes demi pommes (genre affirmer, sans avoir besoin de le mesurer, que chacune de mes demi pommes pèse moins que la pomme de départ) ?

L.A.
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par L.A. » 18 Mar 2015, 18:53

Mais pourquoi vouloir à tout prix rejeter l'infini, ne pas s'autoriser à l'utiliser ? Pourquoi s'acharner à vouloir le rétrograder en une "potentialité" ou je-ne-sais-quoi, alors que c'est un objet qui est déjà solidement ancré dans toutes les théories où il apparaît ?

Il y a toujours au moins deux moyens de définir l'infini (comme ça a été dit, la notion d'infini peut prendre des formes diverses en maths, mais je vais essayer de rester le plus général et donc le plus vague possible) :

- Une manière "par le bas", celle que tu sembles affectionner, via des suites qui s'approchent, des epsilons qui tendent vers 0, des ensembles finis qui grossissent, etc... ici vu qu'on n'atteint jamais l'infini, il apparaît donc effectivement comme une simple "potentialité" et pas comme un objet à part entière.

- Et puis une manière "par le haut", celle que je trouve beaucoup plus intéressante, qui consiste à prendre un peu de recul pour imaginer d'abord quelle tête on peut donner à cette "potentialité", à construire l'objet infini, ce qui demande parfois un peu d'astuce, puis à vérifier que notre "intuition" était bonne, que notre construction peut être justifiée rigoureusement par le fait qu'on retrouve bien les même propriétés que dans l'approche "par le bas".

Petite illustration de ce que je veux dire : l'adhérence d'une partie dans un espace métrique peut être définie par le bas (l'ensemble des limites des suites de points de la partie) ou par le haut (l'intersection de toutes les partes fermés contenant la partie en question).

Si tu ne jures que "par le bas", c'est que tout un pan du raisonnement mathématique t'échappe et que tu te prives sans raison d'une certaine vision des choses et de certains outils. Tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez, que ce que tu connais déjà, tu n'envisages rien au delà de ça, tu te contentes d'être consommateur au lieu d'inventeur. Et si Christophe Colomb avait eu les même réticences que toi, il serait resté tranquillement faire du cabotage près des côtes européennes et n'aurait jamais découvert l'Amérique... D'ailleurs, en mathématiques, est-ce qu'on "invente" de nouveaux outils ou est-ce qu'on ne fait que "découvrir" ces outils qui sont déjà là quelque part, attendant qu'on les trouve ? (ou plus exactement qu'on trouve la bonne façon pour en parler ?) Celui qui pense par le haut le pense, je pense, mais ça c'est un autre débat...

 

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