AFFAIRE.
Le scandale des fichiers dAcadomia
Selon un rapport confidentiel de la Cnil, Acadomia, leader du soutien scolaire, fiche systématiquement son personnel et ses clients. Une atteinte à la vie privée jugée illégale.
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ODILE PLICHON | 27.05.2010, 07h00
Cest une sanction très exceptionnelle. Le 22 avril, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) adresse un avertissement* à Acadomia, la société leader du soutien scolaire en France. Cet avertissement devrait dici peu être rendu public sur le site de la Cnil. Si le gendarme des libertés individuelles a décidé de lancer cette procédure rarissime « sur 120 à 150 contrôles chaque année, la Cnil ne sanctionne quentre 5 et 10 entreprises », rappelle son secrétaire général, Yann Padova , cest que les faits reprochés sont nombreux et graves.
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Premier reproche : Acadomia, qui suit chaque année quelque 100 000 élèves, na pas demandé à la Cnil lautorisation préalable de constituer des fichiers nominatifs sur les enseignants qui postulent. Or, sa base Sranet (conservée sans limitation de durée, ce qui est illicite) comporte des données sur 52 618 candidats « recrutés », mais aussi sur 179 763 candidats « non recrutés ». Un autre fichier Seanet garde notamment en mémoire les fiches de 131 704 enseignants « démissionnaires » dAcadomia.
Des jugements pas étayés
Le deuxième grief, plus inquiétant, revient en filigrane au fil des pages : sil paraît normal quun organisme comme Acadomia tienne à jour des fichiers permettant de connaître les compétences des professeurs ou encore les besoins des élèves, la lecture de ces fiches individuelles laisse pantois. Tel enseignant a été « hospitalisé en urgence pour une tumeur cancéreuse » (ci-dessus) , tel autre « pue », un troisième encore est « en liberté surveillée pour affaire de pédophilie »
tous ces commentaires très très privés, reprenant parfois sans les étayer des accusations graves, visent autant les professeurs en question que leur entourage familial (« père en prison », « maman a un cancer de lutérus »).
Les 350 000 « clients » dAcadomia, élèves mais aussi parents, ne sont pas épargnés par ces commentaires sortant largement du cadre dune relation commerciale efficace. Père estampillé « gros con », mère « raciste », fils « saloperie de gamin »
Parfois clairement injurieux, les propos relevés « portent gravement atteinte à la vie privée des personnes concernées », pointe la Cnil (ci-dessous) .
Fichiers conservés sans limitation de durée, collecte abusive du numéro NIR de Sécurité sociale (qui ne devrait être demandé quaux enseignants dûment recrutés), constitution dun fichier de professeurs « interdits » (ce qui est là encore illégal pour des organismes privés), manquement à linterdiction de collecter des données relatives à la santé (nature des pathologies, etc.), « au vu de la longue liste des faits reprochés, dautant plus intolérables quils émanent dune société censée faire de la pédagogie », le président de la Cnil, le sénateur Alex Türk, a décidé de signaler les faits constatés au parquet de Paris le 17 mai. Contacté hier, le directeur financier dAcadomia, José Dinis, précise que sa société a « déjà mis en oeuvre les recommandations de la Cnil (durée de conservation des données...) », mais souligne que le rapport est « truffé dinexactitudes, quil souhaiterait voir corrigées ».
* « Délibération n o 2010-113 portant avertissement à lencontre de la société AIS 2 exerçant sous lenseigne Acadomia. »
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